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Photo du rédacteurVenise Balazuc- -Schweitzer

Un métier une interview : Scénographe

“La scène”, un mot qui fait rêver, fascine et passionne. À l’origine de sa magie se trouve

notamment le scénographe, maître de l’espace. Pierre-André Weitz, scénographe depuis

quarante ans, a travaillé avec certains des plus grands metteurs en scène, tant au théâtre

qu’à l’opéra, partout dans le monde. Il partage avec nous sa vision de son métier.


Graffiti : Pourriez-vous définir en quelques mots votre profession ?

Pierre-André Weitz : Je suis scénographe, c'est-à-dire décorateur-costumier, et je travaille pour l’art vivant. L’art vivant se réalise devant des spectateurs, dans un lieu. Le scénographe va prendre en question toutes les données, notamment l’architecture du lieu et de la scène, le nombre de spectateurs, le rapport entre la scène et la salle, ainsi que tous les problèmes qui sont dus à l’image, le point de vue et l’acoustique. Un scénographe invente un monde, un monde réel mais faux, un monde réel mais imaginaire : il va inventer pour les spectateurs qui sont venus voir du théâtre, un opéra ou de la danse, un continuum entre la salle, la scène et l'œuvre proposée.


G. : Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir scénographe ?

P.-A. W. : Depuis tout petit, j’ai toujours été attiré par les théâtres de marionnettes et, lorsque j’étais en maternelle, mon institutrice m’a dit que j’avais été le seul élève à être parti des bancs pour aller derrière le castelet lors d’un spectacle de Guignol. J’avais dit, du haut de mes quatre ans : “Je veux absolument vous aider à faire les décors, les costumes, pour les marionnettes.” Par ailleurs, je viens d’une famille qui était dans le théâtre, du côté de ma maman, et dans la musique, du côté de mon papa.

J’ai vraiment commencé à l’âge de dix ans au Théâtre du Peuple à Bussang, dans les Vosges, où nous habitions. J’y ai travaillé comme décorateur, comme costumier, acteur et chanteur.


Selon moi, la scénographie a le pouvoir de changer le sens et l’essence même d’un texte.

G. : Quelle différence existe-t-il entre un décor et une scénographie ?

P.-A. W. : Je dirais que la grande différence entre un scénographe et un décorateur est que le décorateur propose une esthétique picturale, une esthétique de l’espace, qui est souvent due à un style d’architecture ou de peinture, alors que le scénographe propose une esthétique du mouvement, c’est à dire comment l’on va faire pour changer les décors de la première scène à la deuxième scène, comment l’on va jouer avec le décor. Il invente une règle de jeu en utilisant le décor et en jouant avec lui pour proposer une esthétique de l’utilisation. À l’opéra, cette règle est obligatoirement proposée par la musique tandis qu'au théâtre, c’est un peu plus compliqué : c’est avec le sens, et donc avec le metteur en scène, qu’il faut créer cela.


G. : Comment travaillez-vous avec un metteur en scène ?

P.-A. W. : Je commence par comprendre qui est le metteur en scène, son style, ses envies et sa façon d’aborder le théâtre, l’opéra ou la danse. Je lui propose ensuite un “jouet”, sous forme de petite maquette, comme un Polly Pocket, qui va lui permettre d’entrer dans un monde particulier en fonction de ce qu’il m’a demandé. Cela nous permet aussi de parler de l’esthétique dans laquelle nous allons travailler et des espaces pour le jeu.


G. : En quoi une scénographie peut-elle faire ressentir un texte différemment ?

P.-A. W. : Selon moi, la scénographie a le pouvoir de changer le sens et l’essence même d’un texte. Prenons par exemple Le Petit Chaperon rouge. Je peux choisir de le monter dans une forêt à 22 heures où les spectateurs devront se rendre. Cependant avec le même texte, avec les mêmes costumes, le même lit de la grand-mère et le même costume du loup, je peux aussi le représenter dans une école où les spectateurs, des adultes, s'assoient à la table des écoliers. L’impression ne sera pas du tout la même, les spectateurs ne vont pas du tout entendre le spectacle de la même façon. De même, si je décide de monter le spectacle dans le métro à une heure de pointe ou dans une salle d’attente à l’hôpital. Le lieu a une importance, ainsi que le nombre de spectateurs, le rapport entre la scène et la salle et l’heure de la représentation. Tout ceci peut modifier complètement le sens.


G. : Comment concevez-vous une scénographie et pensez-vous les espaces ?

P.-A. W. : Je commence par réfléchir au lieu où le spectacle se jouera. Si le metteur en scène me dit que la pièce sera montée à l’opéra de Strasbourg, je vais tout d’abord récupérer les plans du théâtre, puis je considère la jauge (le nombre de spectateurs) et l’heure de la représentation. De plus, y a-t-il des problèmes de visibilité dans la salle, c'est-à-dire est-ce que mon décor va être vu par tous les spectateurs ? Si elle est en fer à cheval, le rapport ne sera pas frontal par exemple. Si le spectacle est en alternance, je dois aussi prévoir les rangements dans les coulisses et dans les cintres, qui sont les dessus de la cage de scène. Je prends en compte toutes ces contraintes et paramètres, qui varient en fonction des lieux.


G. : Sentez-vous que votre regard et votre travail ont évolué au fil du temps ? Y a-t-il des constantes et évolutions particulières ?

P.-A. W. : Je pense que j’ai développé, à travers le monde, une manière particulière de représenter l’art vivant. Il ne faut jamais oublier que la présence réelle du spectateur devant une chose réelle dans un bâtiment ou à l’extérieur est vraiment très importante. J’insiste lourdement sur ça car votre génération est plutôt dans le virtuel. Ce que je revendique dans mon métier, c’est justement l’absence de virtualité : la présence réelle. Le spectateur qui vient voir une représentation doit être face à une chose incarnée, en chair et en os, avec son odeur, sa couleur, son bruit, sa matière, et tout ce qui produit les sensations, les pulsations, soit la réalité, l’incarnation vraie. J’essaie de ne jamais recourir au virtuel, de ne jamais passer par la vidéo, de ne jamais passer par toutes ces choses qui appartiennent à un autre imaginaire que celui de l’incarnation. J’essaie simplement de faire du théâtre.


G. : Vous avez réalisé des scénographies au théâtre comme à l’opéra. Quelles sont les différences dans votre approche ?

P.-A. W. : La scénographie signifie “l’écriture de la scène”. Celle-ci peut être théâtrale, musicale, dansée, performative, mais toujours devant des spectateurs vivants. Au théâtre, c’est le metteur en scène qui définit le

temps. À l’opéra, c’est la musique. On ne peut pas arrêter la musique, ni pour un changement de décor, ni pour faire arriver des gens : la musique est l’expression même du temps. Ainsi, lorsque Monsieur Verdi écrit dans son livret : “dix secondes pour faire entrer cent cinquante personnes”, cela signifie concrètement que ces cent cinquante personnes ne peuvent pas entrer “à pied”, qu’elles sont déjà sur scène et qu’elles apparaissent. Mes scénographies se caractérisent par des espaces en mouvement, car, selon moi, l’architecture en mouvement, c’est de la musique. Cela me permet de dire au spectateur “comme toi, tu ne peux pas bouger alors je vais faire bouger l’espace devant toi”.


G : Est-ce que la scénographie que vous proposez pour un même texte varie en fonction des metteurs en scène ?

P.-A. W. : J’ai ma propre esthétique, bien sûr, et si un metteur en scène demande à travailler avec moi, il est évident qu’il connaît mon travail : cela fait quand même quarante ans que je fais ce métier à travers le monde ! J’ai réalisé plus de trois cent scénographies. Un metteur en scène ne va pas me demander un décor “statique” alors que je suis réputé pour mes nombreux changements de décors.


Un dernier mot… On ne peut comprendre ni apprécier un opéra ou une pièce de théâtre sans être présent dans la salle de spectacle. La meilleure des captations sur internet ou à la télévision ne peut jamais reproduire la réalité d’une représentation en direct. C’est ici et maintenant que la chose se passe et contrairement à notre monde de virtualité, le théâtre est encore le seul endroit de communion entre les humains.


Propos recueillis par

Venise Balazuc--Schweitzer

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