Le Secours populaire lutte contre la précarité et défend l’éducation populaire. Avec des ressources financières et matérielles qui s’élevaient à 459 millions d’euros, l'association a aidé plus de 4 millions de personnes en France et dans le monde en 2022, au travers d’actions nombreuses et variées.
Origines
Ses prémices remontent à 1923 avec la création du Secours rouge international. Fortement lié au Parti communiste et bénéficiant du Front populaire, l’association prend le nom de Secours populaire de France en 1936.
Lors de la guerre, notamment à cause de son affiliation politique, son activité est interdite par Daladier en 1939. Toutefois, le SPF reste actif et participe à de nombreux projets. Lors de la libération, on comptera la moitié de la direction qui aura été victime d'exécution ou d’emprisonnement. C’est en distribuant la soupe sur les barricades que l'association ressort de la clandestinité.
À partir de 1945, désigné “enfant de la Résistance”, le SPF se renouvelle et entreprend une mobilisation importante et continue. Son secrétaire général (1955), puis président (1985), Julien Lauprêtre (1926-2019), fervent communiste, définit la ligne d’action du Secours populaire, en donnant la priorité à l’action humanitaire sur l’engagement partisan. De fait, en 1959, l’effondrement du barrage de Malpassen marque une catastrophe humanitaire majeure. C’est à ce moment que J. Lauprêtre déclare que peu importe l’opinion politique des dirigeants, la seule nécessité est d’apporter la solidarité aux gens dans le malheur. À cette époque, l’association entretient des liens étroits avec le Parti communiste dans ses actions de solidarité, car les statuts du parti établissent que les militants doivent être membres d’une organisation de masse qui s’avère souvent être le Secours populaire. En prenant cette décision, pour la première fois, Julien Lauprêtre ne consulte donc pas le Parti. Depuis lors, le principe du Secours populaire est clair : peser sur les conséquences, et ce sans se soucier des causes. De fait, ainsi que l’explicite la devise de l’association “Tout ce qui est humain est nôtre”, il s’agit de se battre contre des situations inacceptables, et non pas de débattre des raisons et des sources à l’origine, qui laisseront toujours place au débat et ralentiront l’action.
Missions
L’une des préoccupations majeures défendue par l’association concerne l’accès à l'éducation et à la culture pour les enfants. Les agréments donnés par le gouvernement d’éducation populaire, en 1983, et de complémentaire de l’Éducation nationale, en 2000, illustrent l’importance de son action, ainsi que la volonté d’une démarche remettant l’homme au centre.
La Journée des Oubliés de vacances qui existe depuis 1979 est l’un des grands programmes. L’idée consiste à offrir aux enfants ne partant pas - soit le chiffre sidérant d’un enfant sur 3 en France - “une journée de vacances”. En effet, l’association défend l’idée que ces dernières “sont un droit” et qu’elles “font grandir”. C’est pourquoi, entre le 15 et le 30 août, des dizaines de milliers d’enfants venant de partout en France peuvent passer une journée à la plage, dans un parc d’attractions ou dans un zoo afin de partager un moment en commun, se constituer des souvenirs et réaliser des expériences.
Un autre élément fondamental pour le SPF est l’égalité dans toutes les relations, car l’on peut à la fois aider et être assisté, et que l’action repose sur “la certitude de l’égalité et la dignité de tous les êtres humains de la planète”, ainsi que le formule le code éthique de l'association. C’est ce qu’affirme la vidéo de campagne en déclarant “nous sommes des rassembleurs”. Ainsi, les jeunes aussi peuvent aider en devenant bénévoles. Le mouvement “Copains du monde”, créé en 1992, a pour visée de permettre aux enfants de 8 à 14 ans d’être auteurs et acteurs de la solidarité en promouvant “l’éducation à la citoyenneté et les valeurs propres à l’Éducation populaire”, tout en se fondant sur la Convention internationale des droits de l’enfant pour mener des projets solidaires. Ces derniers peuvent être très nombreux et vont de pair avec l’idée de découvrir des altérités comme avec le souhait d’agir : organisation d’événements pour récolter des fonds ou du matériel scolaire, échange par correspondance avec des enfants ou des écoles étrangères, invitation d’un enfant de son âge lors des vacances scolaires.
Plus récemment, en 2015, s’est constitué le groupe des Jeunes Solidaires. Le concept est simple : faciliter la participation bénévole des jeunes dans des actions solidaires. Le groupe organise des collectes de toutes sortes ou bien participe à des projets à grande échelle organisés par le Secours populaire. Cette action permet de comprendre le bénéfice d’une aide menée collectivement avec des jeunes entre lesquels se construit un vécu.
De nos jours, l’association compte plus de 90 000 bénévoles. L’engagement est fondé sur l’expression de la volonté, ainsi que l’explique Henriette Steinberg : la volonté de donner de son temps et celle de s’investir pour aider. En rejoignant l’association, chacun est libre, peut avoir sa propre opinion et ses convictions.
Qui est Henriette Steinberg ? et quel sens aux actions du SPF ?
Henriette Steinberg est bénévole au Secours populaire depuis son enfance, sa mère l’emmenait déjà avec elle porter la solidarité aux familles algériennes. Après la disparition de Julien Lauprêtre en 2019, elle devient secrétaire générale de l’association. Henriette Steinberg se caractérise par sa détermination et son engagement constants. Elle est très attachée à l’indépendance et l’autonomie du Secours populaire dans ses actions.
Nous avons eu la grande chance de pouvoir la rencontrer afin d’en découvrir plus sur son histoire, le sens de l’action du SPF et sa conception de la solidarité aujourd’hui.
L’importance des origines et de l’éducation pour Henriette Steinberg
Graffiti : Il me semble que pour vous il est important de se souvenir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.
Vous évoquez l’histoire de vos grands-parents. Pouvez-vous nous la rappeler et revenir sur l’importance de ces origines pour vous ?
Henriette Steinberg : La politique d’extermination des juifs a impacté mes deux parents.
Mon père était roumain, et lorsque Antonescu est arrivé au pouvoir, des mesures antisémites furent adoptées. Il fut arrêté et mis aux travaux forcés avec des prisonniers soviétiques. Il y vit ses camarades assassinés, ce qui eut évidemment un impact très fort sur lui. Plus tard, mon grand-père mourut d’une crise cardiaque en apprenant l’arrivée des nazis sur les Champs-Élysées. Mon père, sa mère et sa sœur décidèrent de quitter le pays et ils allèrent en Israël. Passionné de littérature française, il vint en France en 1946 et commença à travailler à Sciences Po, où il rencontra ma mère. De son côté, elle vivait à Paris comme écolière et refusait de porter l’étoile jaune. Elle se réfugia ensuite dans une école en Bourgogne, où elle fut protégée par la directrice. Cependant, après un raid dans un autre établissement, elle dut le quitter en 1944. Elle revint à Paris par la suite. Le reste de ma famille roumaine fut exterminée et, du côté de ma mère, succomba dans les Marches de la Mort.
Je n’emploie pas le terme “Shoah”, mais directement “l’extermination des juifs”. C’est une façon de ne pas masquer ce qui s’est passé. Mon père était historien et sa façon de répondre aux atrocités auxquelles il avait assisté fut de tenter de comprendre. Toute sa vie, il est allé en prison interroger les criminels, y compris Maurice Papon, pour analyser ce qui s’était passé : il avait décidé qu’il fallait expliquer pour empêcher ce qui c’était passé de recommencer. Ma mère, en revanche, ne pouvait le supporter, ça la rendait furieuse.
Toutefois, avec ce que l’on entend aujourd’hui, je m’interroge sur l’oubli et la façon dont, en quelques générations, les mécanismes qui produisent ces phénomènes peuvent réapparaître. J’espère qu’un sursaut démocratique sera suffisant pour empêcher de telles choses de se reproduire.
G : Vous racontez avoir adopté très tôt la démarche de votre mère, qui consistait à toujours chercher comment aider les autres. Il y a cette histoire de votre première collecte, lorsque vous aviez 12 ans, et que tout vous paraissait extrêmement concret. Que voulez-vous dire par là ?
H. S. : J’ai tout de suite fait partie de ce milieu grâce à ma mère. Quand j’étais très jeune, elle m’emmenait déjà avec elle porter la solidarité aux familles algériennes dans les bidonvilles en lisière de Paris. Cela a donc toujours été pour moi une évidence ; c’est très concret et je ne me pose pas de questions. Ma première collecte consciente fut avec un mineur lors des grèves à la suite du dispositif de fermeture des mines, pour aider les enfants de mineurs à partir en vacances : j’avais 12 ans. Le Secours Populaire avait alors décidé de mener une grande collecte à ce propos. Je n’ai plus arrêté depuis.
G : Par la suite, vous n’avez jamais arrêté votre activité de bénévole, en parallèle de votre profession ?
H. S. : J’ai toujours été bénévole et, pour cela, il faut de fait travailler en parallèle, d’autant plus que mes parents n’avaient pas de sous. J’ai eu une bourse à l’École Alsacienne, puis ai travaillé pour financer mes études. Par la suite, j’ai évidemment continué : pour moi, ça allait de soi.
G : Dans l’entretien que vous avez donné au Monde (3 septembre 2023), vous soulignez l’importance qu’a eue l’École Alsacienne pour vous. Pourriez-vous expliquer pourquoi ?
H. S. : Ce qui avait pour moi une grande importance était d’étudier et je savais pourquoi je le faisais, puisque je voulais pouvoir gagner ma vie le plus rapidement possible.
J’ai très tôt fait partie des élèves de nature à susciter des réactions contrastées des enseignants. La première partie du secondaire, je ne le savais pas, mais ça s’est très mal passé. La directrice avait convoqué mes parents, leur disant “vous ne pourrez rien en faire, et même pas couturière puisqu'elle ne sait pas tenir une aiguille”, c’est la seule chose qui est exacte ! Mes parents ont eu la bonne idée de ne pas me le dire et m’ont demandé si je souhaitais changer d’établissement, d’autant plus que l’École alsacienne était mixte.
Là-bas, j’ai eu la chance d’être avec des enseignants qui avaient pour l’essentiel d’entre eux suffisamment de réflexion pour ne pas tirer à vue chaque fois qu’un élève posait une question. Ce que la précédente directrice considérait comme une insolence intolérable, je ne l’ai rencontré qu’avec un professeur.
Les valeurs et les actions du Secours populaire
G : Le SPF se place du côté des conséquences, sans se soucier des causes, en s’abstenant de porter un jugement, ce qui permet d’éviter une logique de rétribution. Pourquoi ce positionnement face à la pauvreté ?
H. S. : C’est une question déterminante. Si l’on aborde la question des causes avec quelqu’un, on s’embrouille au bout de trois minutes du fait d’une analyse différente. En effet, les opinions, philosophies et approches sur les sources sont multiples. En revanche, si l’on part des conséquences, tout le monde peut vouloir peser dessus.
Les enfants qui n’ont pas à manger, ceux qui sont sous les bombes, les gens qui vont en prison pour leurs opinions et les mères seules avec enfant en détresse sont un état de fait et représentent des situations inacceptables et insoutenables. Face à cela, on peut décider de fermer la porte ou de l’ouvrir, et c’est ce que nous faisons au Secours populaire. On peut penser ce que l’on veut des causes, mais les conséquences sont là, et tout humain doit avoir envie de faire quelque chose.
G : Comment se traduit concrètement la mise en œuvre de ces principes ?
H. S. : Julien Lauprêtre avait une formule : “quand quelqu’un est en train de se noyer, vous ne commencez pas par lui demander pourquoi il n’a pas appris à nager. Vous plongez, vous lui tendez une gaffe ou une corde”, et c’est la démarche du SPF. J’ai été proche de Julien pendant cinquante ans et ça m’a toujours parlé ; je le vérifie chaque jour, ce n’est pas une hypothèse, mais une réalité.
Nous croyons que l’on peut infléchir les conséquences à différents moments de la vie, et tout particulièrement l’enfance. Le fait, par exemple, de mettre en place “l’accueil familial”, c'est-à-dire que des familles accueillent des enfants pendant les vacances, permet aux enfants de manger convenablement, mais aussi de découvrir d’autres cadres de vie, essentiellement à la campagne.
Nous avons plus largement la conviction que tout ce qui permet aux enfants de découvrir le sport et leurs propres capacités, qui s’ajoutent à celles d’acquisition scolaire, est une façon de les aider à grandir. L’idée est de montrer aux enfants qu’ils peuvent agir d’eux-mêmes, ce qui est le sens du mouvement “Copains du monde” qui permet à des enfants du monde entier ne pouvant partir en vacances de participer à des villages et de partager les actions de solidarité qu’ils réalisent dans leur pays.
Au travers de toutes ces activités, nous n’avons pas la prétention de sauver le monde. En revanche, nous avons celle de peser sur les conséquences en permettant à des enfants, des adolescents et des adultes de s’affranchir des contingences auxquelles ils ne peuvent pas grand-chose pour pouvoir regarder la réalité avec un peu moins d’angoisse et avoir l’énergie de contribuer à la solidarité. Pour ce faire, il n’y a pas de mystère, le SPF est une association de collecte. Nous sommes indépendants, ne sommes reliés à aucune autre association et collectons de l’argent sans honte car nous savons que cela sert. Nous demandons à tout le monde et le seul argent que nous ne recevons pas est celui qui touche au trafic humain ou au trafic de drogue.
G : Au Secours populaire, vous vous présentez comme des rassembleurs et écartez les termes d’assistant ou d’assisté. Pourriez-vous expliquer le sens et l’importance de cette valeur de rassemblement ? De quelle façon structure-t-elle les actions de l’association ?
H. S. : Notre idée est que chacun peut agir avec ses propres compétences. Au travers des rencontres successives, ces dernières s’accroissent, et cela rend heureux de participer à une activité qui réussit. L’une des caractéristiques du SPF est que nous ne sommes jamais défaitistes : nous allons trouver la solution ou la demander à quelqu’un qui l’a. Nous avons une grande confiance en l’être humain. Si une personne à un projet, et bien qu’elle puisse le mener, et si elle ne souhaite pas y aller seule, on y va à plusieurs. Et ça marche ! Il n’existe pas de contre exemple.
G : Le SPF a développé de nombreux programmes pour les enfants : d’abord la Journée des oubliés de vacances (à partir de 1979), puis l’action des Pères Noëls verts et des Copains du monde, mais aussi le soutien scolaire : tout ceci vise à lutter contre une fatalité de la pauvreté et à donner aux enfants les moyens de faire des choix. L’association a ainsi été agréée d’éducation populaire en 1983 et complémentaire de l’Éducation nationale en 2000.
Comment motiver ces dispositifs ?
H. S. : Lorsque nous mettons en place des dispositifs tels que la Journée des oubliés des vacances, nous l’associons à des activités à caractère culturel et social. Nos fédérations vont parler des actions qu’elles conduisent dans les écoles et promeuvent la possibilité de contribuer à d’autres, qui peuvent être génératrices de ressources pour tel ou tel objectif. Les présentations et nos motivations font qu’ensuite, la question des élèves est “qu’est-ce qu’on peut faire ?” et nous leur répondons “tu prends un tronc et tu vas collecter”, cela se passe donc très facilement.
Autour d’activités, nous réalisons des opérations pour des objectifs spécifiques, qui ont des caractéristiques particulières. Par exemple, et les enfants le comprennent très bien, les Pères Noël verts correspondent à collecter de l’argent afin de le donner au Père Noël rouge pour des cadeaux neufs. Les collectes sont aussi le moyen de donner des éléments d’information aux enfants quant à l’actualité internationale, à partir de films ou photos réalisés par les missions envoyées à l’étranger. Ceux-ci montrent quelles activités sont conduites et comment, notamment pour permettre à des jeunes d’être scolarisés.
G: Le Secours populaire est très attaché à la culture et souligne son importance. Pourriez-vous expliquer pourquoi dans le monde d’aujourd’hui, la culture est encore, et toujours, essentielle ?
H. S. : Pour nous, le livre et la culture sont des éléments déterminants car lorsque quelqu’un a appris et compris, on ne peut plus lui raconter n’importe quoi ou l'exploiter de la même façon. Sa liberté est aussi dans sa tête. La culture constitue donc pour nous l’une des étapes de l’éducation populaire. Nous avons ainsi depuis de nombreuses années comme partenaire l’éditeur Rue du Monde. Ceci permet, lors de la Journée des Oubliés des Vacances, que chaque enfant reparte avec un livre qu’il a choisi.
Jamais n’avons nous rencontré d'enfant qui refuse un livre qu’on lui proposait dans une des permanences d’accueil. Peu importe qui ils sont, quelles sont leurs origines, ils s'assoient devant et c’est difficile de les en faire sortir. La vision du SPF est que la culture change la vie.
G : Vous insistez sur l’importance des relations entre personnes et de l’envie de s’impliquer. Pourquoi considérez-vous que ces dernières sont si essentielles ?
H. S. : Chaque personne est une et je ne connais donc pas d’autre moyen d’échanger qu’être en contact avec ladite personne. Rien ne remplace la relation directe et c’est avec la conviction que si l’on est plus nombreux on est plus efficace que le SPF fonctionne, sans bien entendu jamais obliger personne. Si la situation qui est devant tes yeux ne te convient pas, viens discuter et dire ce que tu souhaites faire, si ça n’existe pas, nous réfléchirons à la façon de le créer, puis l’on passe à l’acte : ce n’est pas compliqué.
En faisant un acte, on évalue sa pertinence. Certaines personnes peuvent dire “ah, il y a tellement de misère, on ne peut rien faire, et en quoi suis-je concerné ?”, mais s’il leur arrive quelque chose et qu’on leur vient en aide, elles n’auront plus jamais cette approche. Au SPF, on ne demande rien, sauf d’avoir envie de faire quelque chose.
Et l’on peut le vérifier, cela réussit. Si l’on décide qu’une certaine chose doit changer, par exemple que chaque enfant devrait partir en vacances, l’on calcule quelle somme est nécessaire par enfant et l’on met en œuvre. C’est ce qui fait que l’on a à la fois des activités de collecte directe et d’ouverture de locaux, avec des brocantes d'objets donnés ainsi que des activités. Il n’y a pas d’interdits, à part que la dignité de chacun soit respectée, et tout le monde peut être accueilli au SPF. De fait, contrairement à certaines aides, celles du SPF ne requièrent pas que les personnes donnent la preuve de leur situation.
G : Votre livre, paru en septembre 2022, s’intitule Ne jamais baisser les yeux - Solidaire un jour, Solidaire toujours, le Secours populaire Français. Quel est le sens de ce titre ?
H. S. : Le regard est le propre de l’homme et le différencie de l’animal, il a une importance forte. Il est donc essentiel de ne pas baisser les yeux. Dans une collecte, si l’on regarde les gens, sans surprise de l’argent sera mis dans le tronc. De fait, ils se sentent concernés.
Le regard d’Henriette Steinberg sur la situation actuelle en France
G : Une des grandes difficultés dans la lutte contre la pauvreté est l’indifférence individuelle à l’égard de ce problème et des populations concernées. Comment lutter contre cela à l’échelle du SPF ? Quelles solutions proposer ?
H. S. : Les collectes sont un révélateur fort, car elles sont l’occasion de récolter de l’argent et de discuter à propos des objectifs avec les passants. Personne n’est obligé de sortir son porte monnaie, mais l’on constate que certains sujets sont plus faciles que d’autres pour récolter des fonds. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’envoyer des enfants en vacances, cela parle aux gens, même s’ils ne sont pas toujours directement concernés. Il en est de même lors de la rentrée scolaire pour financer les fournitures.
G : Une seconde chose est le non-recours des personnes en situation de précarité aux aides fournies par le gouvernement. Comment agir face à ce problème ?
H. S. : Lorsque l’on rencontre des gens en difficulté, l’une des premières entrevues vise à déterminer ce à quoi elles ont accès pour les aider à demander leurs droits. C’est pourquoi les mesures qui ont été prises de dématérialisation de l'ensemble des services publics lors du premier quinquennat de Macron sont une réelle catastrophe. Dès lors qu’il n’y a plus de contact entre les services et les personnes, comment celles-ci peuvent-elles savoir quoi faire ?
Les gens en difficulté ont des problèmes tels qu’ils ne sont pas en mesure de faire le choix de prendre du temps pour voir ce à quoi ils ont droit. Ils n'ont de plus pas toujours un smartphone dont ils savent se servir pour se renseigner. Par conséquent, l’accueil inconditionnel que nous réalisons consiste à prendre le temps nécessaire pour voir avec eux et elles ce qu’ils pourraient obtenir. Nous regardons s’ils savent le faire et, sinon, nous les aidons.
G : Comment définiriez-vous le rôle de l’État et des associations dans la lutte contre la pauvreté ?
H. S. : Ah ! c’est un vaste sujet. Il y a d’une part l’État et de l’autre le gouvernement. Nous sommes dans un pays administré avec des lois et des règlements créés par l’État qui visent à établir le cadre normé des droits et des devoirs de toutes les personnes sur le territoire. Cependant, la pratique est plus nuancée, et savoir si le gouvernement respecte les normes est un vaste sujet. Au SPF, nous sommes une association et non pas un service public ou une entreprise, et ne sommes donc pas liés à la nécessité de faire du profit. Nous sommes reconnus d’utilité publique pour les activités que nous conduisons, une décision prise au niveau gouvernemental. Cette mention est une grande richesse de la France : plus contraignante que la loi de 1901, elle implique des obligations particulières à remplir pour bénéficier des dispositifs accordés. Les personnes obtiennent des réductions d'impôts sur la base des attestations relatives à leurs dons. Nous avons aussi obligation de remplir un certain nombre de critères administratifs sur la bonne rentrée des fonds. Pour le reste, le SPF est parfaitement indépendant et prend ses décisions dans ses instances. Nous n’avons donc de comptes financiers à rendre qu’à la puissance publique pour cela, et sinon devant l’ensemble de ceux qui composent le SPF. Tous les deux ans, nous avons un congrès qui permet d’établir un rapport des activités.
En ce qui concerne les relations entre l’État et les associations, certaines rentrent dans les dispositifs et reçoivent des financements de la puissance publique pour réaliser un certain nombre d’obligations et d’activités ; nous ne sommes pas dans cette situation. Ceci explique qu’à la différence d’un grand nombre d’entre elles, nous ne sommes pas une association gestionnaire. Nous prenons nous-mêmes nos décisions et ne devons pas demander d’autorisations tant que nous sommes dans l’application des lois. Nous ne sommes pas un exécutant de la puissance publique mais indépendants, et nous y tenons beaucoup.
G : Que pensez-vous de l’action du gouvernement actuel ? Vous avez récemment participé à la rencontre à Matignon au sujet de la précarité.
H. S. : Il y a des choses qui nous surprennent beaucoup, et tout particulièrement l’impression que nous ne parlons pas de la même réalité. Lors de la rencontre à Matignon, j’ai eu le sentiment qu’il ne s’agissait vraiment pas du même pays. Malgré une écoute très attentive, il m’a été impossible de sortir en me disant “voilà ce qui va se passer”, absolument pas, ce que j’ai trouvé tout de même singulièrement surprenant. Dans l’heure qui a suivi, j’ai été l’une des premières à m’exprimer et j’ai partagé ce ressenti de ne pouvoir tirer d’informations sur ce qui allait se passer. En rentrant au bureau, je me suis souvenue d’une enquête que nous avions menée en 1988. Le rapport montre que nous n’avons pas avancé d’un iota ; au contraire, nous avons reculé, et il était pourtant déjà clair à l’époque que la situation n’allait pas. J’ai donc échangé avec des partenaires l’idée d'envoyer à la ministre en charge un exemplaire de ce rapport afin de montrer la dégradation de la situation, d’autant plus que le coût de la vie a augmenté. Il est donc évident que le système actuel ne prend pas en compte une partie grandissante de la population.
Un sujet pour lequel nous nous battons est la présence de crédits à Bruxelles obtenus pour aider les populations en grande difficulté et qui n’ont pas été demandés par le gouvernement. Nous l’avons pourtant dit et redit, et sommes intervenus autant de fois que nous le pouvions. À force de le dire et partout, ils se sont rendus compte que la France passait à côté de centaines de millions d’euros qui devaient rentrer dans les caisses de l’État. Face à ce manque d’action, une partenaire nous a dit qu’il existait un endroit auquel nous ne nous étions pas adressés : la Cour des comptes. Au départ, j’étais un peu interloquée, et de fait, personne n’y pense jamais. Pourtant, comme nous, l’État doit rendre des comptes lorsqu’il reçoit de l’argent. Nous nous sommes donc adressés à plusieurs personnes, et la première réponse était de Pierre Moscovici. Depuis, j’ai vu que les choses avaient avancé.
Il n’y a ainsi pas de sujet dont nous ne nous occupions pas. S’il y a de l’argent pour répondre à la situation de précarité d’un grand nombre de personnes, il faut l’utiliser. Nous - et par là je veux dire les quatre associations que nous sommes à nous occuper de questions alimentaires avec les Restos du Coeur, la Croix Rouge et les Banques alimentaires - avons signé une lettre au Président pour lui demander de bien vouloir demander l’argent à Bruxelles. Mais est-ce au SPF de rappeler que si de l’argent a été voté, il faut le demander ?
Cet entretien s’est déroulé le mardi 23 janvier 2024 au siège du Secours populaire