Graffiti a eu la chance de rencontrer un auteur de graffitis ! MEUH, sous son nom d’artiste, est un graffeur exerçant notamment au Liban. Dans cette interview exclusive, il nous raconte son parcours qui a débuté alors qu’il n’avait que dix sept ans. À vos bombes, prêts, taggez !
Graffiti : Comment considérez-vous la pratique du graffiti ? Quelle est, selon vous, la tâche d’un graffeur ?
MEUH : C’est une question un peu compliquée car il y a beaucoup de graffeurs et de graffeuses et que nous n’avons pas tous la même opinion du graffiti ni les mêmes motivations. Il y a des gens qui en font de manière systématique, sans chercher à réaliser quelque chose de beau ou d’esthétique, et simplement pour en faire le plus possible. Il y en a qui souhaitent uniquement peindre de très belles choses et qui ne cherchent pas à faire nécessairement quelque chose d’illégal. Il y en a d’autres encore qui tentent de concilier les deux, et il y a plein d’options entre ces trois positions. C’est pourquoi il est difficile de répondre à cette question.
Pour moi, ma tâche de graffeur consiste à faire de la peinture sans nécessairement demander la permission, à des endroits où je pense que ça fonctionne bien avec les couleurs que j’ai choisies. Mon souhait est d’essayer et de pratiquer plusieurs styles de graffitis le mieux et le plus efficacement possible.
G : Pourquoi ce nom d’artiste ?
MEUH : MEUH est le troisième nom d’artiste que j’ai trouvé, j’en avais deux autres auparavant mais qui ne me plaisaient pas trop pour différentes raisons. Je cherchais en griffonnant sur du papier, comme les graffeurs et les graffeuses font souvent pour trouver des lettres ou un nom notamment, et j’ai trouvé MEUH. J’aimais bien l’enchaînement des lettres, qui pouvait composer un acronyme pour un propos un peu anarchiste, mais rapidement ce n’était plus vraiment pour ça que je l’écrivais. Durant une petite période j’ai arrêté le graffiti, de 2010 à 2012, parce que je faisais des études à Canterbury et qu’il n’y avait pas de graffitis là-bas. Je ne faisais donc plus que du graffiti sur papier. L’année d'après, lorsque je suis arrivé au Liban en tant que journaliste, j'ai vite repris le graffiti parce que j’ai vu qu’il y en avait de très beaux sur les murs à Beyrouth. Au début j’avais décidé de garder le nom MEUH, à défaut d’autre chose, et quand j’ai vu que ça faisait beaucoup rire les gens - ils me demandaient en arabe ce qu’il y avait écrit sur le mur et, comme je ne parle pas arabe, je ne pouvais que leur répondre par le bruit de la vache, et ça les faisait rire - j’ai décidé de garder ce nom. Ensuite, dans les différents pays où je suis allé, ça me permettait de rigoler avec des gens sans parler la même langue, ce qui convenait plus à ma personnalité je pense.
G : Comment avez-vous commencé ? Qui vous a fait découvrir cet art ?
MEUH : J’ai commencé en 2005 grâce à un ami, Étienne, avec qui j’étais au collège.
Lorsque j’en suis parti, on est resté en contact et, un jour où j’allais le voir, il m’a fait
rencontrer un de ses amis qui s’appellait Saeio et était un grand taggeur parisien. Il m’a fait découvrir notamment que l’on pouvait faire du tag, choisir un nom et l’écrire partout. Je n’avais pas beaucoup d’argent et j’ai compris qu’en achetant un marqueur, je pouvais m’amuser une semaine avec. Ça me coûtait quelques euros et ça me donnait l’impression de faire un peu plus partie de la ville et d’avoir un effet sur mon environnement. À l’époque, je sortais souvent de chez moi la nuit pour retrouver des amis, et tagger ajoutait encore une chose à faire en marchant dans Paris la nuit, en explorant cette ville que je ne connaissais pas bien. J’avais dix sept ans à peu près, et c’est comme ça que j’ai commencé le graffiti.
En arrivant au Liban, à partir de 2013, je m’y suis remis. Sur les conseils de mes amis libanais, j’ai commencé à faire plus que seulement du tag, c’est-à-dire des simples signatures, mais carrément des lettres en volume et des personnages. J’ai commencé à essayer de faire des choses esthétiques à ce moment-là. J’aimerais aussi ajouter que ma vie au Liban a influencé mon exercice du graff parce que comme c’est à peu près “semi légal” là-bas, les graffeurs peuvent prendre leur temps pour peindre. Au départ, même si je n’étais pas très bon, j’avais toujours cette habitude de prendre mon temps et de me dire qu’il fallait faire quelque chose de beau, de bien fait, en choisissant les couleurs avec soin notamment. Ainsi, dès le début, grâce à l’influence de la scène graffiti Beyrouthine, j’ai eu un graffiti qui, à défaut d’être beau, était propre. Je tendais autant que possible vers quelque chose d’esthétique et qui ne choque pas l'œil.
G : Quels sont les graffeuses et graffeurs que vous admirez ? De quelle manière vos séjours dans différents pays, et principalement au Liban, ont-ils influencé votre vision et votre exercice du graff ?
MEUH : Il y a plein de graffeurs que j’admire. J’admire beaucoup de graffeurs libanais, mais aussi tous les gens qu’il y a dans mon groupe, c’est-à-dire mon équipe de graff, ainsi que des grands graffeurs français, comme DISEK ou ENCS, et des graffeurs étrangers que je ne connais pas mais dont j’adore le style tels que GESER. À Paris, pour le vandal, il y a une graffeuse qui s’appelle NAKE, que j’aime beaucoup aussi. Je ne la connais pas mais j’adore ce qu’elle fait. J’aime beaucoup les membres d’un crew féminin qui sont maintenant devenues des copines à nous. Il s’appelle FFG pour Frite Fraise et Graffiti ou Faut Faire Grève : les noms de crew peuvent vouloir dire plein de choses. J’admire beaucoup ces dernières parce qu’elles sont extrêmement présentes le long des voies ferrées, des autoroutes et sur les toits d’immeubles : c’est très dur de rater ce qu’elles font quand on se balade dans Paris.
Quand je suis arrivé au Liban en 2013, je ne savais pas si j’allais trouver du graffiti là-bas. Très vite, je me suis rendu compte qu’il y avait énormément d'œuvres de graffeurs locaux et internationaux car je reconnaissais des noms de gens dont je savais qu’ils n’étaient pas libanais. J'ai vu qu’il y avait de très belles peintures en plein milieu de la ville qui pourtant n’avaient pas été faites légalement. En effet, au Liban, le graffiti est dans une espèce de zone grise qui n’est ni légale ni illégale et il y a beaucoup de quartiers où l'on peut peindre comme on veut tant que l’on est gentil avec la population et que l’on essaie de faire quelque chose de joli. Cette situation permet de faire de grands graffs pendant quatre heures sur une avenue où passent des centaines de milliers de voitures par jour. Dans d’autres pays, en revanche, c’est très compliqué et il faut faire des choses plus simples et plus rapides, et parfois la nuit. Il y a eu cet espace au Liban où l’on parlait énormément à la population en faisant de la peinture. C’était une pratique du graffiti très apaisée, ouverte et sympathique par rapport à la scène parisienne qui, lorsque j’en faisais partie, était un peu violente et où les gens étaient très soupçonneux les uns envers les autres. Au Liban, j’ai vu qu’il pouvait y avoir un rapport très amical avec la population. J’ai aussi vu que je pouvais en faire un métier. J’ai commencé à être guide touristique autour du graff, je vendais mes graffitis sous forme d’autocollants, mais aussi de dessins et de toiles. À cette époque, j’étais aussi l’assistant d’un ami qui s’appelle EpS, un grand graffeur libanais. Je l’assistais sur des gros projets où nous peignons des murs de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de mètres carrés pendant des semaines. De plus, j’ai été journaliste freelance et publié beaucoup d’interviews de graffeuses et de graffeurs. J’ai donc compris au Liban, à l’étranger, que le graffiti n’était pas seulement une passion mais pouvait aussi être la manière dont je gagnais ma vie. Cette étape a été fondamentale dans la suite de mon existence.
G : Qu’est-ce qui vous a donné l’idée du Graffiti Tour ? En quoi cela consiste-t-il ?
MEUH : L’idée de proposer ce tour m’était venue originellement à Beyrouth en emmenant des amis d’amis découvrir des coins secrets de la ville. Par la suite, ça consistait à conduire des gens sur certains trajets que j’avais imaginés dans Beyrouth afin de leur montrer les oeuvres des artistes locaux et parfois internationaux, toujours en attirant leur regard sur les différents styles ainsi qu’ en leur expliquant l’histoire du graffiti libanais, et en partageant des informations sur l’histoire de la ville. J’ai fini par le faire pour quelqu’un travaillant à l’Institut Français de Beyrouth, qui s’appelait François Tiger. Celui-ci a beaucoup aimé cette balade et il m’a proposé quelques mois plus tard d’en faire quelque chose de plus professionnel. J’ai donné mon premier tour officiel en septembre 2015 avec un ami à moi, Bilal Tarabey, qui donnait des conseils de street photography pendant la visite.
Bien entendu, lorsque j’ai dit à des amis en 2016 que j’avais inventé ce concept, ils m’ont répondu amusés que ça existait déjà, sous différentes formes, dans toutes les capitales du monde. J’étais quand même content d’avoir trouvé cette idée seul dans mon coin !
G : De quelle manière votre activité de journaliste et celle de graffeur se concilient-elles ? En quoi le graffiti est-il un moyen d’expression, comment peut-il faire passer des messages ?
MEUH : Elles ne se concilient pas vraiment. Au Liban et maintenant que je suis revenu à Paris, j’interviewe de temps en temps des graffeurs et j’ai peut être plus de facilités à trouver des questions intéressantes.
Peut-être que le point commun serait la faculté à faire passer des messages. Le graffiti fait passer un message même lorsque l’on écrit uniquement son nom. Quelqu’un qui sort de chez lui la journée ou la nuit, après avoir acheté ou volé son matériel de peinture, pour aller dans des endroits dans lesquels il n’a pas le droit d’être ou en tout cas pas le droit de peindre, où il espère faire une peinture la plus esthétique possible, même si cette personne ne pense pas avoir un message et n’écrit que son nom, c’est déjà un message. Parce qu’il s’agit d’une activité qui n’est pas argent et où on prend des risques : on s’approprie l’espace autour de soi sans autorisation. Le graffiti a toujours été utilisé pour faire passer des messages. On peut écrire des paroles de chansons qui résonnent avec la situation du pays dans lequel on est ; on peut écrire des mots porteurs de sens comme quand j’écrivais hope sur les murs au Liban : ce n’est pas un message très profond mais c’est un petit message positif. Les graffeurs choisissent parfois des noms qui ont du sens. Certains graffitis ont un rapport avec l’actualité politique et sociale, de cette manière on peut faire passer des messages. Il y a énormément de manières de le faire : le graffiti est un moyen d’expression incroyable car on choisit la taille et l’endroit où l’on va s’exprimer. Banksy, un street-artist très connu, avait dit qu’on ne nous demande jamais concernant la publicité si l’on veut la voir dans la rue, dans les transports en commun, dans les magazines ou sur nos téléphones. Ainsi, le graffiti permet de dire : “si je n’ai pas le choix pour ça, je ne suis pas obligé de demander la permission pour faire la pub de mon nom, faire passer mes messages ou m’approprier mon espace”.
G : Comment adaptez-vous l’œuvre au lieu ? Qu’est-ce qui en motive le choix ? Comment interagir avec les habitants ?
MEUH : Ça dépend d’où l’on est. Par exemple, la semaine dernière, on se balade entre amis en plein jour dans le centre de Paris, on voit des stores métalliques couverts de tags pas très jolis sur une grosse rue passante. Il y a assez de place pour que deux d’entre nous puissent peindre dessus, donc on s’arrête et on fait une petite peinture parce que c’est un lieu qui sera très vu. Et plus on peint en ayant l’air d’avoir le droit moins, les gens se posent la question. J’aime bien dire bonjour à tous les gens qui passent, toutes les personnes âgées qui seraient susceptibles d’appeler la police en croyant qu’on est des gangsters. Il suffit d’un petit “bonjour madame” et ils se rendent compte qu’on n’est pas méchant. Parfois on a un lieu en tête, « là il y a un mur rouge bordeau magnifique, si je viens avec du jaune ou du bleu clair et du vert foncé pour les contours, ce serait super beau » donc souvent on choisit aussi nos couleurs par rapport aux murs qu’on a repéré à l’avance. Parfois c’est le hasard, parfois c’est préparé. Évidemment, pour la majorité d’entre nous, on aime que ce qu’on fait soit vu par le maximum de gens possible : clairement, ce qui va motiver le choix de l’endroit où on peint est la visibilité de ce dernier. Par contre, pour s'entraîner ou peindre dans un endroit insolite, ce qui peut donner de bonnes photos, on peint aussi parfois dans des friches, des usines désaffectées... Ça permet de prendre son temps, de passer autant d'heures qu’on veut sur sa peinture.
G : Vous heurtez-vous à l’accusation de vandalisme ou à l’incompréhension ? Dans ce contexte, comment expliquez-vous votre art ?
MEUH : Oui ça arrive régulièrement. De moins en moins, parce que les gens ont l’opportunité de voir que le graffiti - qu’ils l’apprécient ou pas - n’est pas qu’une pratique de gangsters ou de personnes dangereuses. Il faut savoir que notre mauvaise réputation tient autant du vandalisme exercé par certains d’entre nous que de la propagande diffusée massivement par la RATP dans les années 1990, qui associait graffiti, criminalité et immigration de manière assez raciste. Beaucoup de gens qui ont vécu à cette époque ont retenu que “graffiti” signifie “insécurité”, et qu’on va braquer les gens, ce qui n’a aucun sens. On se heurte parfois à l’incompréhension des gens, à ceux qui nous disent : “c’est pas beau, on va appeler la police”. On leur répond “Ecoutez, on essaie de faire quelque chose de joli. Le mur était en parpaings, sans crépi dessus, il y avait beaucoup d’affiches de publicités illégales dessus ou déjà beaucoup de tags très moches.” Parfois, quand ils voient qu’on est polis, les gens prennent le temps de nous écouter et ça se termine bien. C’est le cas la majorité du temps. Et parfois ce sont des gens qui n’ont pas envie de discuter, assez aigris, avec un langage ordurier. Mais ça fait partie des risques, ce n’est pas grave, ça ne nous traumatise pas ! Il faut aussi savoir que les gens peuvent ne pas comprendre ce qu’on fait au début, mais que si l’on prend les devants, ça peut beaucoup mieux se passer. Souvent, quand on peint dans Paris et qu’on a besoin d’un petit escabeau pour peindre en hauteur, on va voir les commerçants à côté en disant “bonjour, on va peindre là, est-ce que ça vous dérangerait de nous prêter quelque chose sur lequel on pourrait monter?” Comme ils voient qu’on est sympathique, ça se passe encore mieux. Prendre les devants est une bonne manière d’éviter les frictions inutiles avec la population.
Petit mot de la fin :
G : Quels sont les endroits où vous trouvez qu'il y a les plus beaux graffitis à Paris ?
MEUH : Évidemment ça change tout le temps ! Je ne vais pas vous conseiller ceux qui ont été fait de manière rémunérée, parce qu’ils sont conseillés dans tous les guides de street-art. Mais certains “terrains” (lieux où le graffiti est toléré) sont intéressants, par exemple, dans le tunnel des Tuileries, il y a des graffitis de styles très différents, qui peuvent plaire à pas mal de gens. En vous baladant le long du canal de l’Ourcq ou le long du canal Saint-Denis, il y a aussi de très beaux graffitis. Près de République, dans plusieurs rues où le graffiti est légal, on peut admirer pas mal de jolies choses qui changent très régulièrement. Ce n’est pas comme les façades du treizième arrondissement qui font cinquante mètres de haut : elles peuvent être très belles, mais c’est de l’art très consensuel d’artistes internationaux qui sont rémunérés, ce n’est donc pas vraiment du graffiti. Je suggérerais aussi de se balader dans le quartier de Belleville, ou le long de la petite ceinture, que ce soit dans le quinzième ou dans le dix-neuvième, on peut en trouver aussi beaucoup. Plus un mur est légal, plus il y a de chance que ce qu’il y a dessus change très régulièrement. Par conséquent, il suffit de passer toutes les semaines pour voir des œuvres complètement différentes sur un même mur. Ainsi il y a un très joli mur à la station de tramway “Delphine Seyrig” au nord-est de Paris, le long du canal. Baladez-vous !
Propos recueillis par
Simone Faure et Venise Balazuc- -Schweitzer