Covid-19, tout le monde n'a que ce mot à la bouche depuis presque un mois. Le président appelle au calme, les médecins crient au secours, et les partis politiques se rangent bien sagement derrière le président. Un seul mot d'ordre en tête : unité. Alors comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a un mois encore on affirmait que la situation était sous contrôle, et aujourd'hui nos hôpitaux sont débordés. Mais que s'est-il passé entre le 1er et le 16 mars à la présidence? Récit des quinze jours qui ont fait changer d'avis Emmanuel Macron.
1er mars : le gouvernement insiste : ce seront les gestes barrières qui nous protègeront de l'épidémie qui n'a fait à ce jour que 130 contaminés et 2 morts en France.
4 mars : la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, s'exprime sur FranceInter, et assure que le gouvernement ne veut pas arrêter la vie en France.
10 mars : création du conseil scientifique qui donne un avis consultatif au président de manière scientifique.
12 mars : lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron annonce la fermeture de tous les établissements scolaires pour une durée indéterminée, mais toujours pas de confinement face à ce que le président a appelé “la plus grave crise sanitaire depuis un siècle”.
14 mars : fermeture de tous les bars, restaurants et magasins non essentiels.
15 mars : maintien des élections municipales malgré l'avis défavorable des médecins.
16 mars : “Nous sommes en guerre” martèle le président à la télévision devant plus de 35 millions de Français (un record absolu). Il annonce par la même occasion un confinement quasi-total dans toute la France.
19 mars : l'Italie dépasse la Chine en nombre de victimes, et la présidence envisage de prolonger de deux semaines le confinement alors que les médecins appréhendent le début de la vague épidémique. Ce n'est que le début du cauchemar pour le système sanitaire français.
Graffiti a eu la chance de pouvoir interviewer le DR Yannick Blanchetot, chef de service dans une clinique privée d'Île-de-France.
Graffiti : Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Yannick Blanchetot : Je suis le docteur Yannick Blanchetot, médecin en médecine physique et en adaptation, et je suis médecin-chef dans une clinique de soins de suite et réadaptation (rééducation) à Villiers-sur-Orges.
G : Que pensez-vous de la chloroquine “miracle” ?
Y.B. : Il s’agit plus précisément de l'hydroxychloroquine, car la chloroquine c’est la Nivaquine, un antipaludéen. On utilise l'hydroxychloroquine dans une autre indication notamment : le lupus qui est une maladie systémique. Son nom commercial étant le Plaquenil. C’est notamment le professeur Raoult de Marseille qui avance depuis quelques temps que l'hydroxychloroquine pourrait avoir une action sur les coronavirus. Il testé sur des patients, mais ces tests ne sont pas encadrés, et sa démarche reste très controversée. À priori, en Chine, il y a eu quelques effets mais pas de grande ampleur. Actuellement d’autres traitements sont expérimentés, notamment des antiviraux. Ils sont testés à l'hôpital. Le gouvernement a autorisé une étude plus importante pour des malades sévères. Cependant le professeur Raoult lui, a associé l’hydroxychloroquine et le Citromax, qui est un antibiotique, mais il l’a fait sur un faible échantillon : je dirais une vingtaine de personnes. Il a même mis en ligne de manière démonstrative ses conclusions. Mais il reste difficile de tirer des conclusions sur un si petit échantillon sans méthodologie précise. Je ne suis pas un expert, mais c’est ce qui a l’air de ressortir.
G : Pensez-vous que le coronavirus peut nuire à l’odorat et au goût ? Comment cela peut être possible ?
Y.B. : Je ne suis pas un spécialiste à ce niveau là, mais a priori c’est le virus qui est toxique. Mais je ne pourrai pas en dire beaucoup plus.
G : En tant que médecin, avez-vous été protégé ? Et sinon, de quelles protections ou équipements manquez-vous ?
Y.B. : En pratique on peut clairement avancer que nous sommes sous-dotés en matériel de protection. En ce qui me concerne, je m’occupe d’une clinique scientifique et de réadaptation; nous prenons en charge des gens pour les rééduquer et nous avons bien évidemment des cas de Covid parmi nos patients et notre personnel. Malheureusement nous avons très peu de masques adaptés. Je parle de masques chirurgicaux et des fameux masques FFP2 qui sont ceux offrant la plus forte protection. Ils ne sont indiqués que pour des gestes invasifs sur les patients. Effectivement nos stocks sont extrêmement limités et nous ne pouvons tenir que quelques jours. L’absence de protection entraîne inévitablement des contaminations voire des décès qui aurait pu être évités. Et c’est effectivement très dommageable. Comme il a été dit c’est une maladie très infectieuse, tu peux l’attraper très facilement. Le personnel soignant peut être aussi porteur de la maladie. Les autres patients peuvent également avoir la maladie et la transmettre au personnel soignant.
G : Avez-vous des enfants ? Et que pensez-vous des mesures prises par l’État pour les enfants du personnel soignant ?
Y.B. : J’ai deux enfants, un de 12 ans et un autre de 15 ans. Je trouve que là-dessus, l’exécutif a bien travaillé, car il y a forcément des risques de contamination, mais ils sont dans deux petits groupes. Il y a un enseignant pour huit élèves. Cette disposition permet vraiment de soulager les soignants car le temps passé à s’occuper de ses enfants, c’est du temps perdu pour soigner des gens.
G : Que pensez-vous des mesures prises par l’État ?
Y.B. : J’apprécie que le président de la république se soit appuyé sur l’avis d’un conseil scientifique avant d’édicter des mesures. On voit bien que l’on se sert de l’expérience qu’ont eue les pays touchés par le Covid-19 avant nous, notamment l’Italie. On sait aussi que le confinement est parfaitement utile et nécessaire pour stabiliser la progression de l’épidémie, et pour limiter la circulation du virus. Il faut de toute façon dix à quinze jours pour déclarer la maladie. On a pu voir que certains ont critiqué initialement la première intervention d’Emmanuel Macron car il s’agissait de quinze jours renouvelables. On lui a reproché de ne pas avoir été assez sévère dès le début. On sait aussi que le civisme des Français est parfois aléatoire. Certains se permettent des conduites à risques, ils ne se rendent absolument pas compte que la situation est explosive et que l’on doit respecter le confinement. Il y a également tout un contexte économique. Personnellement je ne comprends pas que les marchés n’aient pas été fermés : ce sont vraiment des lieux potentiels de transmission du virus. On aurait dû prendre d’autres mesures dès le début, il aurait fallu adopter un confinement extrêmement strict. Il est facile de donner des conseils et de faire des reproches à posteriori, mais je crois que de toute façon ce n’est qu’avec un confinement extrêmement sévère que l’on aura une chance de freiner cette vague, dont le pic nous touchera vraisemblablement début avril.
G : Merci M. Blanchetot, d’avoir répondu à nos questions !
Joseph Servat-Guedj